Enquête financière proactive et parallèle: contraintes et techniques

Bouaziz Mohand Akli 
Directeur d’études  à l’Office Central de Répression de la Corruption

L’enquête financière désigne un examen financier d’une activité criminelle constatée dont l’objectif est d’identifier le réseau et le degré de criminalité, d’établir des preuves susceptibles d’être produites dans des procédures pénales et enfin, d’identifier et dépister le produit du crime objet susceptible d’être confisqué.

Ainsi, l’enquête financière proactive et parallèle désigne une enquête financière engagée parallèlement et simultanément à toute enquête pénale traditionnelle ou à toutes enquêtes sur un cas de blanchiment de capitaux et/ou sur un cas d’infraction sous-jacente.

Il est à signaler que l’enquête financière de manière proactive et parallèle, est une recommandation de GAFI pour, au minimum, tous les cas portant sur des infractions ayant généré des profits majeurs et par toutes les autorités compétentes notamment de poursuites pénales.

De plus, les enquêteurs des autorités compétentes devraient soit être en mesure de réaliser les enquêtes financières, de manière proactive et parallèle, sur toutes les infractions sous-jacentes liées à leurs enquêtes principales, soit être en mesure de confier le cas identifié à une autre autorité compétente.

Cependant, les enquêtes financières proactives et parallèles imposent certaines contraintes d’ordre opérationnel liées notamment à la diversification d’éléments de preuves (infractions de base au niveau national et/ou à l’étranger), aux délais impartis (plusieurs cibles avec des questions juridiques complexes), confusion entre activités licites et illicites (identifier l’origine criminelle et le bénéficiaire réel), le développement des moyens de paiement (électroniques et virtuels) et la localisation des avoirs à l’étranger (coopérations internationale faible, lente et compliquées) et coordination entre les autorités compétentes (multiplications des institutions compétentes).

Comme il est utile de souligner que l’Algérie a consenti des efforts importants aboutissant progressivement, comme pour la majorité des pays, progressivement à la mise en place d’un système intégré de prévention et de lutte contre toute forme de criminalité.

Sur le plan légal et parallèlement aux mesures prises au plan national, ledit système intégré de prévention et de lutte contre la criminalité vise à renforcer les efforts de la communauté internationale, et confirme l’engagement de l’Algérie à éradiquer toute forme de criminalité, en ratifiant l’ensemble des conventions de référence (conventions des nations unies et régionales sur la corruption, contre la criminalité, contre le terrorisme, contre le blanchiment des capitaux, mais également celles encadrant certaines activités spécifiques).

Ainsi, ce dispositif de prévention et de lutte contre la criminalité combine des mesures préventives et répressives, et se matérialise par les efforts des pouvoirs publics en matière d’amélioration du cadre législatif et réglementaire, de modernisation de l’administration, de la coopération administrative et judiciaire, de la formation et de la sensibilisation, du renforcement des institutions de contrôle existantes et la création d’institutions spécialisées.

Par ailleurs et dans un souci d’efficacité et d’efficience, les enquêtes financières, proactives et parallèles, imposent une gestion appropriée et des techniques spécifiques à toutes les personnes et les autorités compétentes.

Dans ce cadre, l’expérience de l’Office Central de Répression de la Corruption, en matière d’enquêtes financières proactives et parallèles, mérite d’être mise en exergue étant donné sa composante, sa mission, ses prérogatives et son bilan d’activité (articles 06, 02, 05, 09 et 20 du décret présidentiel n°11-426 du 08/112/2011 fixant la composition, l’organisation et les modalités de fonctionnement de l’Office Central de Répression de la corruption).

Pour ce qui est de sa mission et de ses prérogatives, l’Office Central de Répression de la Corruption est chargé de rechercher et constater les infractions dans le cadre de la lutte contre la corruption. À cet effet, il est habilité de collecter, rassembler et exploiter toutes informations et preuves ainsi de procéder à des enquêtes sur des faits de corruption et de déférer les auteurs devant les juridictions compétentes.
Pour ce qui de sa composante, l’Office Central de Répression de la Corruption est composé d’officiers et d’agents de police judiciaire ainsi que d’agents publics ayant des compétences avérées en matière de lutte contre la corruption.

De plus, l’Office Central de Répression de la Corruption peut faire appel à tout expert, consultant et/ou institutions compétentes, dans le domaine de la lutte contre la corruption, et il est habilité à faire appel aux officiers et agents de la police judiciaire relevant des autres services de la police judiciaire.
Pour ce qui de son bilan d’activité, l’Office Central de Répression de la Corruption s’est attelé a mener des enquêtes financières, de manière proactive et parallèle, dans presque tous les dossiers traités. 
Par ailleurs, l’OCRC a adopté une gestion pragmatique des dossiers en recourant également aux techniques spécifiques d’enquêtes financières, proactives et parallèles, et en prenant en considération le dossier objet de traitement, le contexte national et  les moyens dont il dispose.

Concernant leur gestion, les enquêtes financières proactives et parallèles imposent une gestion appropriée des personnes, des relations et des enquêtes proprement dites. Cette gestion repose sur la compétence et les traits de personnalité des membres de l’équipe engagée dans les investigations (expérience et connaissances techniques, volonté, capacités de travailler efficacement en équipes, indépendances et engagements à long terme).

Ainsi, cette gestion appropriée définit clairement les rôles et les responsabilités des personnes et autorités compétentes (Triangle de commandement: commandant de l’équipe, coordinateur des dossiers et enquêteur principal), nécessite une planification stricte des enquêtes (plan opérationnel) et permet d’attribuer les ressources nécessaires (utilisation des TIC, équipes multidisciplinaires, accès aux bases de données et coopération, etc.).

À propos de leur techniques, les enquêtes financières proactives et parallèles imposent souvent le recours à une armada de techniques spécifiques pour le recoupement, le traitement, l’analyse et la présentation des renseignements nécessaires à une vue d’ensemble et compréhension des cibles.  
Ainsi, les renseignements, y compris ceux tirés avec des techniques spéciales d’investigations, ont une valeur capitale pour toute enquête financière proactive et parallèle vue qu’ils permettent de faire le profilage des personnes suspectées (relations passées et présentes, détail personnel et comportement), le profilage des entreprises et entités impliquées (quand et comment la personne morale est utilisée), le profilage des finances (portefeuille bancaire, mobile et virtuel, etc.), le profilage des actifs (situation patrimoniale) et profilage du mode de vie (correspondance des dépenses avec revenus déclarés et légitimes).

L’enquête financière proactive et parallèle nécessite le recours à toutes les sources d’information notamment ouvertes au niveau international (manuel UNODC du 09/09/2005) aussi qu’à toutes les institutions et autorités nationales compétentes de part leur prérogatives en matière de recherche de l’infraction de base, aussi que les moyens et les canaux qui permettent de faire des recoupements auprès de leur homologues étrangers (différentes conventions et accords) et de part leur bases de données respectives (registre commerce, banque d’Algérie, DGI, DGD, CTRF, Domaine et Conservation Foncières, autorités des marchés financiers, les autres autorités de part leur actions d’approbation, de surveillance, de vérification, de contrôle et d’examen.).

Considérant  l’analyse et le traitement de renseignements ainsi que la présentation de leurs résultats, l’enquête financière proactive et parallèle impose l’utilisation de certaines techniques et logiciels spécifiques (Excel, IBM I2r, yEd, OBI, etc.) pour analyser des flux financiers (montant fréquence et bénéficiaires y compris des actifs électroniques et virtuels), analyser des liens existants (entre personnes, entités, transactions et événement), établir la matrice d’association (personnes-clés), d’établir le graphique des événements (chronologie des faits) et pour analyser les données d’appels (appels, événements et rencontres).

Pour conclure et dans le souci de garantir l’efficacité et l’efficience des enquêtes financières, proactives et parallèles, menées par les autorités compétentes, certaines mesures pourraient être envisagées, dont notamment:

•    Diversifier l’adhésion à des réseaux de coopération existants (CARIN, GlobE Network, Glen Network, NCPA, etc.) et d’œuvrer même à la création de réseaux propres à notre espace géopolitique (équivalent de réseau CARIN rattaché à l’AFRIPOL et un autre au Conseil des ministres arabes de l’Intérieur);

•    Œuvrer pour l’établissement d’accords et d’arrangements bilatéraux et multilatéraux avec les institutions et les services compétents homologues;

•    Recourir d’avantage à des moyens techniques appropriés dans les enquêtes financières proactives et parallèles (logiciels spécifiques, accès et utilisation aux bases de données);

•    Créer un organe d’identification, de recouvrement et de gestion des avoirs criminels (loi 05-01 du 06/02/2005, modifiée et complétée, relative à la prévention et la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme);

•    Élaborer des guides nationaux appropriés pour les enquêtes financières et pour la gestion des dossiers importants;

•    Instaurer l’obligation de déclarer le bénéficiaire réel et établir les fichiers y afférents (registre de commerce pour les entreprises et institutions financières pour les comptes bancaires et financiers);

•    Établir un système efficace de surveillance des nouvelles technologies relatives au paiement électronique, notamment les actifs virtuels (les prestataires et utilisateurs);

•    Accentuer les efforts de modernisation et de numérisation de l’administration et des services publics permettant le perfectionnement et l’interopérabilité des systèmes d’informations pour notamment faciliter les investigations administratives et/ou judiciaires.

22 Novembre 2021