Le rôle de l’office central de répression de la corruption

par Kamel BOUZEBOUDJA directeur d'études à l'office.

L'étude du rôle assigné à l'office central de répression de la corruption, appelle d'abord à marquer un point d'arrêt sur la définition de la corruption et de connaitre ensuite l'environnement dans lequel a été crée l'office entant qu'organe spécialisé dans la lutte contre la corruption.

La corruption ne date pas d'aujourd'hui, mais elle était connue depuis les temps anciens. Ses formes ont été multipliées avec des effets dévastateurs dans de nombreuses communautés au point où son éradication était devenue un objectif des messages célestes et une des missions des Justes. Le Coran a apporté plusieurs versets qui bannissent la corruption sur terre.

Dieu le miséricordieux dit dans la sourate Ash-Shu'araa :" Ne donnez pas aux gens moins que leur dû; et ne commettez pas de désordre et de corruption sur terre. " verset (183). Et dans la sourate Al-Baqara: " Dès qu'il tourne le dos, il parcourt la terre pour y semer le désordre et saccager culture et bétail. Et Allah n'aime pas le désordre! " verset (205).

La corruption a accompagné l'homme à travers sa longue histoire dans diverses formes engendrant des dommages à la majorité des communautés, avant de devenir à notre époque un phénomène mondial qui soulève les préoccupations et les craintes parmi les gouvernements et les peuples du monde entier. La corruption s'accroît, ses dommages se multiplient et prend de l'ampleur dans le contexte des politiques du marché, de la libération de l'économie et de l'accélération des développements.

En tant que terme, la corruption se réfère généralement à des cas de violation du principe de l'intégrité et de s'approprier de l'argent de manière illégale.

Le dictionnaire anglais Oxford définit la corruption comme "une perversion ou la destruction de l'intégrité dans l'exercice des fonctions publiques par le biais de la corruption et du favoritisme."

Selon l'observatoire des nations unies contre la corruption publié en 2001, la corruption signifie "l'abus du pouvoir public à des fins personnelles et nuire à l'intérêt public."

Du point de vue du législateur Algérien et en l'absence d'une définition de la corruption, le recours à l'interprétation des dispositions de la loi n° 06-01 du 20 Février 2006 relative à la prévention et la lutte contre la corruption, suggère que le concept de corruption inclut les commissions douteuses et autres comportements par lesquels les personnes chargées de fonctions publiques ou privées aient recours aux violations de leurs obligations issues de leurs statuts de fonctionnaires pour obtenir des avantages illicites, quelle que soit leur nature, dans leur intérêt personnel ou dans l'intérêt d'autres personnes.

Aussi, tenant compte de l'évolution du concept de corruption et la répercussion de sa menace sur de nombreux États, il est devenu nécessaire de prendre des mesures particulières, préventives et répressives pour lutter contre ce phénomène, tel a été l'avis du législateur algérien après l'adhésion de l'Algérie à la convention des nations unies contre la corruption (adoptée le 09 décembre 2003 et ratifiée par l'Algérie par décret présidentiel n° 04-128 du 19 avril 2004 et entrée en vigueur le 04 décembre 2005), par la promulgation d'une loi spéciale destinée à la prévention et la répression de la corruption et la création à priori, d'un organisme national chargé essentiellement de la prévention de la corruption qu'est l'organe national de la prévention et la lutte contre la corruption avant de mettre en place par la suite, un organisme central à caractère répressif qui est l'office central de la répression de la corruption.

Cette brève étude sur le rôle de l'office, portera dans un premier point sur l'environnement qui a entouré sa création et dans un second, sur les outils juridiques qui lui permettent de jouer le rôle qui lui est assigné dans le domaine de la lutte contre la corruption.

1/ Circonstances de création de l'office central de répression de la corruption:

  • Le danger de la corruption et son lien avec la criminalité organisée.

La corruption constitue plusieurs dangers à la stabilité des communautés et sape les institutions économiques et les systèmes financiers. Son impact est néfaste aux valeurs morales et à la justice, à l'équité et à la suprématie de la loi, d'où l'instabilité et le ralentissement des plans de développement durable.

La menace de la corruption n'est pas perçue seulement en tant qu'activité qui produit un intérêt répréhensible, mais sa véritable menace apparait d'une part, comme forme de criminalité organisée en liaison avec la contrebande, le trafic de stupéfiants et le blanchiment des fonds d'origine criminels et d'autre part, la corruption n'est plus une question interne pouvant être confrontée par des lois et des mécanismes limitées, mais elle s'est imposée comme un phénomène transnational qui affecte toutes les sociétés et les régimes économiques aux plans, régional et international,ce qui rend l’appel à la coopération internationale pour y faire face, une question plus que nécessaire.

La corruption est devenue une des menaces à la stabilité politique et sociale et à la prospérité. WOLFOWITZ ancien président de la Banque mondiale (du 1er Juin 2005 au 17 Mai 2007), a dit à ce sujet que la corruption était la cause principale derrière l'échec des gouvernements, et devenue l'une des plus grandes menaces pour le développement dans de nombreux pays du monde, affaiblit les systèmes fondamentaux , fausse les marchés et encourage les gens à utiliser leurs compétences et leurs énergies de manière non productive.

Il convient de noter que l'Algérie a accordé une grande attention depuis la promulgation du code pénal en 1966 pour répondre aux délits de corruption dans ses diverses formes, telle que la corruption, le détournement et la concussion. ainsi, le législateur Algérien, a prévu la pénalisation du détournement et de la concussion dans les articles 119, 119 Bis et de 121 à 125 et de la corruption dans les articles de 126 à 130, dispositions abrogées et reprises dans la loi 06-01 du 20 février 2006, modifiée et complétée, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption.

Dans ce contexte, l'Etat a œuvré pour la création d'organismes chargés du contrôle et de la lutte contre ce fléau et mit en place l'Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption par décret présidentiel n° 96- 233 du 02/07/96.

La prévention et la lutte contre la corruption trouvent essentiellement leur fondement dans l'article 21 de la constitution Algérienne de 1996 modifiée par la loi n° 08-19 du 15 novembre 2008 portant révision constitutionnelle qui stipule: " Les fonctions au service des institutions de l'Etat ne peuvent constituer une source d'enrichissement, ni un moyen de servir des intérêts privés".

La volonté de l'Etat contre la corruption a été consolidée par l'amendement de cette disposition dans la révision constitutionnelle du 07 février 2016, qui a complété les fonctions supérieures de l'Etat par les mandats parlementaires et locales et les désignations aux assemblées et dans des institutions nationales, avec obligation faite aux titulaires de ces fonctions et de ces mandats de souscrire une déclaration de patrimoine au début et à la fin de la fonction ou du mandat.

Face aux mutations économiques qu'a connu l'Algérie durant des années 90, associées aux conditions de sécurité qui guettaient la stabilité politique et sociale du pays, la corruption prit de l'ampleur et de graves dimensions avec une extension régionale et internationale, constituant ainsi un danger réel non seulement sur l'économie et le développement, mais elle sera classée parmi les nouvelles menaces à la sécurité nationale.

  • Adhésion de l'Algérie aux efforts de la communauté internationale contre la corruption:

La lutte contre la corruption a suscité ces derniers temps l'intérêt des organisations internationales et régionales de façon spectaculaire après confirmation du lien entre la corruption, le crime organisé et les problèmes de sécurité dont souffrent les communautés contemporaines.

Parmi les plus importants efforts internationaux et régionaux contre la corruption, on cite:

1/ La convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 15 novembre 2000, entrée en vigueur le 29 septembre 2003 et ratifiée par décret présidentiel n° 02-55 du 05/02/2002. (cette convention considère la corruption, forme de criminalité transnationale organisée, article 8).

2/ La convention des Nations-Unies contre la corruption adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 31 octobre 2003, entrée en vigueur le 04 décembre 2005 et ratifiée par décret présidentiel n° 04-128 du 19/04/2004.

3/ La convention de l’Union Africaine de prévention et lutte contre la corruption adoptée par la 2ème session ordinaire de la conférence de l’Union Africaine à Maputo le 11 juillet 2003, entrée en vigueur le 5 Août 2006 et ratifiée par décret présidentiel n° 06-137 du 10/04/2006.

4/ La convention arabe contre la corruption adoptée au Caire le 21 décembre 2010 et ratifiée par décret présidentiel n°14-249 du 8 septembre 2014.

Pour répondre aux nouvelles menaces de sécurité et s'aligner aux efforts de la communauté internationale contre la criminalité organisée dans toutes ses formes, l'Algérie a adhéré aux conventions des nations unies, contre la criminalité transnationale organisée et contre la corruption, qui recommandent aux Etats membres de criminaliser dans leurs législations nationales, les actes de corruption et de crimes organisés.

  • Promulgation de la loi n°06-01 relative à la prévention et à lutte contre la corruption:
- Création de l'office central de répression de la corruption:

Respectant ses engagements internationaux et en application des dispositions des deux conventions des nations unies suscitées, l'Algérie a adopté une loi spéciale contre la corruption, c'est la loi n°06-01 du 20 Février 2006 relative à la prévention et la lutte contre la corruption, modifié et complétée, qui a créée dans son article 17, l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption.

Par souci des autorités supérieures de donner un nouvel élan à la lutte contre la corruption, le Président de la république a émis une instruction présidentielle n° 03 du 13 décembre 2009 qui a insisté sur le renforcement des moyens et des mécanismes juridiques et opérationnelles pour un meilleur combat contre ce fléau.

En application de cette instruction, la loi n° 06-01 suscitée, a subi une modification par ordonnance n° 10-05 du 26 Août 2010, qui a créée dans son article 24 Bis, l'office central de répression de la corruption, chargé des recherches et des investigations en matière de lutte contre les infractions de corruption et les infractions connexes et doté d'une compétence territoriale étendue sur tout le territoire national.

- Composition et Organisation de l'office:

La composition et l'organisation de l'office, trouvent leur fondement dans le décret présidentiel n°11-426 du 8 décembre 2011, fixant la composition, l'organisation et les modalités de fonctionnement de l'office central de répression de la corruption, modifié par le décret présidentiel n° 14-209 du 23 juillet 2014.

L’office est placé auprès du Ministre de la justice garde des sceaux en vertu du décret présidentiel n°14-209 du 23 juillet 2014, suscité, et dispose de l’autonomie d’action et de gestion.

A l'exception des personnels de soutien technique et administratif, l'office central de répression de la corruption est composé d'officiers et d'agents de police judiciaire, mis à sa disposition par les services du ministère de la défense nationale et du ministère de l'Intérieur et des collectivités locales, et d'agents publics pourvus de capacités et de compétences avérées en matière de lutte contre la corruption.

En termes d'organisation, l'office est dirigé par un directeur général nommé par décret présidentiel et comprend un cabinet du directeur général chargé d'animer et de suivre l'activité des différentes structures de l'office et assisté de cinq directions d'études.

L'office comprend aussi deux directions centrales chargées, de l'administration générale et des investigations.

La direction des investigations comprend trois sous directions comme suit:

- la sous direction des recherches et analyses.

- la sous direction des enquêtes judiciaires.

- la sous direction de la coopération et de la coordination.

2/ Le Rôle de l'office central de répression de la corruption:

  • La nature juridique de l'office central de répression de la corruption:

L’office est un service central opérationnel de police judiciaire tel que prévu à l'article 2 du décret présidentiel n° 11-426 du 8 décembre 2011, suscité, créée pour renforcer les outils de la lutte contre la corruption et toute atteinte à l'économie nationale et aux finances publiques. Ainsi, l'office est pourvu des missions suivantes:

Procéder à des investigations et des enquêtes sur les infractions de corruption et toute autre infraction connexe et traduire les auteurs devant les juridictions compétentes. (Art 5 du décret présidentiel n° 11-426 du 8 décembre 2011, suscité).

A ce titre, les officiers et agents de police judiciaire relevant de l’office peuvent sous la direction du parquet de la république compétent, recourir à tous les moyens légaux prévus par la législation en vigueur (perquisition, saisie, auditions des prévenus, arrestation, exécution des commissions rogatoires etc. - Art. 20 alinéa 1 du décret présidentiel n° 11-426 du 8 décembre 2011, suscité), moyens ordinaires soient-t-ils ou à caractère spécial. Ils peuvent agir seuls dans les enquêtes ou coordonnent leurs opérations avec la police judiciaire des autres services.

L'office peut aussi, dans des cas de nécessité, solliciter l'assistance des officiers et des agents de police judiciaire des autres services (Art 20 alinéa 02 du décret présidentiel n° 11-426 du 8 décembre 2011, suscité).

La coordination et l'entraide entre la police judiciaire de l'office et la police judiciaire des autres services, permet d'apporter plus d'efficacité à la lutte contre la corruption, en particulier si l'enquête est entourée de circonstances dangereuses ou en raison de son caractère sensible ou tenant compte des cas d'extension de la compétence territoriale.

  • Le champ d'intervention de l'office:

En plus de sa compétence territoriale élargie à l'ensemble du territoire national, l'office central de répression de la corruption est habilité à enquêter sur toutes les infractions de corruption prévues par la loi n° 06-01 du 20 Février 2006 relative à la prévention et la lutte contre la corruption, modifié et complétée et sur toutes les autres infractions connexes lorsque cela est nécessaire.

Cette loi a limité les faits qui constituent les infractions de corruption, dans les articles 25 à 47 et ce, comme suit:

- La corruption d’agents publics, Art.25.

- Les avantages injustifiés dans les marchés publics, Art.26.

- La corruption dans les marchés publics, Art.27.

- La corruption d’agents publics estrangers et de fonctionnaires d’organisations internationales publiques, Art.28.

- La soustraction ou l’usage illicite de biens par un agent public, Art.29.

- La concussion, Art.30.

- Les exonérations et franchises illégales, Art.31.

- Le trafic d’influence, Art.32.

- L’abus de fonction, Art.33.

- Le conflit d’intérêt, Art.34.

- La prise illégale d’intérêts, Art.35.

- Le défaut ou la fausse déclaration du patrimoine, Art.36.

- L’enrichissement illicite Art.37.

- L’acceptation de cadeaux ou d’avantages indus, Art.38.

- Le financement occulte des partis politiques, Art.39.

- La corruption dans le secteur privé, Art.40.

- la soustraction de biens dans le secteur privé, Art.41.

- Le blanchiment du produit du crime, Art.42.

- Le recel, Art.43.

- L’entrave au bon fonctionnement de la justice, Art.44.

- La vengeance, l’intimidation ou la menace contre les témoins, les experts, d’énonciateurs ou les victimes, Art.45.

- La dénonciation abusive, Art.46.

- La non-dénonciation des infractions, Art.47.

L'office peut aussi en vertu de l'article 22 du décret présidentiel n° 11-426, suscité et après information préalable du procureur de la république compétent, recommander à l'autorité hiérarchique toute mesure administrative conservatoire à l'encontre d'un de ses agents lorsqu'il est mis en cause pour des faits de corruption.

Ainsi, il convient de noter que l'Algérie, en exécution des ses engagements internationaux et par souci de lutter contre la corruption qui compte parmi les nouvelles menaces à la sécurité nationale, a opté pour le renforcement des mécanismes de lutte contre la corruption, et crée par conséquent de nouveaux organes, dont l'office central de répression de la corruption, spécialisé dans les investigations et les enquêtes sur les affaires de corruption et qui vient renforcer l'intervention des autres services dans ce domaine.